« Tobias, je te présente Samuel. » Lance son père en lui montrant par une pression de la main au niveau de l’épaule du jeune enfant ledit Samuel. Celui-ci semble légèrement mal à l’aise, sans doute peu habitué à ce monde dans lequel il évolue depuis sa plus tendre enfance.
« Il a presque le même âge alors, profitez-en pour faire connaissance. Il vient d’arriver en ville avec son père. » Son père continue de s’exprimer tandis qu’il scrute cet enfant aux traits angéliques qui semble plus âgé que lui. Afin de répondre au souhait de son père, le jeune enfant à peine âgé de neuf ans, laisse un sourire s’afficher sur ses lèvres. Son expression se veut bienveillante. Un trait de caractère qu’il doit à son éducation et aux valeurs défendues par ses paroles.
« Salut ! Tobias. C’est joli comme prénom. Tu viens d’où ? » Il questionne intéressé en riant doucement tandis que son père s’éclipse pour retrouver un homme qu’il suppose être le père de son nouveau compagnon.
« C’est ton père ? » Il questionne alors qu’il l’invite à le suivre hors du salon et monter dans sa chambre où ils seront plus à l’aise. Il l’invite dans sa chambre, bien rangée, digne d’un catalogue de mobilier de bonne qualité. Il enlève la veste de son costume pour se mettre à l’aise en s’asseyant sur son lit.
« Père m’a dit qu’on avait presque le même âge. » Il sourit.
« J’ai neuf ans. Et toi ? » « Onze ans. » Lance le jeune garçon qui semble reprendre contenance. Il semble s’habituer à son franc parlé.
« Oh ! Tu as le même âge qu’Ethan, mais il n’est pas à la maison. Il avait une compétition d’escrime. Tu le rencontreras la prochaine fois. » Tobias s’exprime avec aisance, est d’un naturel assez accessible, ce qui lui permet de parler pour deux, le temps que ces partenaires se mettent à l’aise.
« Je l’envie, je ne suis pas très friand de ces soirées, mais je n’ai pas le choix. » Il rit doucement alors qu’il vient attraper une manette de sa console de jeu.
« Tu veux jouer ? » Il lui propose simplement alors qu’il la met en marche pour l’inviter à se lancer. À cette époque, il était loin d’imaginer que ce jeune garçon allait faire partie intégrale de sa vie et qu’il allait le considérer aussi précieusement comme un frère.
« Non, mais tu as perdu la tête, mon enfant ! » S’exclame son père en reposant son verre de vin qu’il a manqué de renverser sur la table sur le coup de l’étonnement. Toute la famille rassemblée est bouche bée devant la nouvelle annoncée par l’ainé de la famille. Tobias fixe son frère avec attention. Étrangement, cette décision ne le surprend pas. Il connait son ainé. Depuis toujours, il n’a pas pour vocation de se lancer dans la politique, de suivre les pas de leur père. C’est un homme qui aime l’agitation, être actif. Il ne pourrait convenir à un tel métier, mais le choix de carrière le surprend. Il a l’intention de rejoindre les rangs de l’armée, se porte volontaire pour aller se battre pour leur patrie en Afghanistan. Tobias demeure silencieux face à la stupeur et la panique qui prend possession de l’ensemble des personnes présentes à ce repas familial. Il joue avec son verre.
« Tobias ! » Son père l’interpelle pour qu’il s’exprime à son tour sur la folie qui semble prendre possession de son frère. Il regarde son père, reporte son attention sur son frère et s’exécute vu qu’on lui demande son avis. « Tu sais ce que je pense de la guerre en général. » Il murmure à l’attention de son frère.
« Je mentirais si je ne me trouvais pas surpris par ta décision de rejoindre ce combat, qui me semble dénué de sens. » Il hausse les épaules simplement en abordant une mimique mitigée. Il se racle la gorge.
« En même temps, j’ai toujours su que tu n’étais pas un homme de pensée. Tu as besoin d’agir efficacement. De ce fait, si ça te semble être ce que tu juges le mieux pour toi… Écoute. » Il sent le regard de son père se poser sur lui, légèrement déçu qu’il ne tente pas de le raisonner. Les deux garçons ont toujours été très proches. Ethan est son modèle dans la vie, n’a jamais palier à son rôle de grand frère.
« Merci, Tobias. » Lance son frère dans un hochement de tête bref.
« T’as intérêt de ramener tes fesses, vivant, sinon je te jure que je brûle ton cercueil. » Il lâche dans un ton très sérieux.
« Promis ! Je ferai de mon mieux. » Il le fixe, sourit faiblement du coin des lèvres. C’est une réalité qu’ils vont devoir accepter s’ils l’aiment vraiment. Ils ne peuvent pas lui en vouloir d’avoir des pensées différentes des leurs.
Les mains en sangs, les poings resserrés, la mâchoire resserrée par cette hargne qu’il coule dans ses veines, il tente en vain de la contrôler. Il est chamboulé par les propos tenus par cet homme qu’il a considéré durant des années comme un frère de cœur. En vingt ans d’existence, c’est la première fois qu’il en vient au moins, l’unique occasion où son masque de
« fils de » se fissure. Cette idée le fait accroitre la pression de ses doigts dans ses menottes abimées. Une différence sur un sujet d’actualité, une passion pour la politique avec des idées bien trop divergentes. Une phrase qui a fait déraper le débat qu’ils se sont naturellement lancé. Un fossé qui ne fait que se renforcer jour après jour tandis qu’ils prennent des chemins diamétralement opposés. Cette tension inexplicable qui rend leurs échanges d’autant plus difficiles. La bombe a explosé à l’instant où il a eu un geste qui a semblé déplacé à son ancien meilleur ami, qui l’était encore quelques minutes auparavant. Une insulte cinglante, des propos qui l’ont atteignent en plein cœur comme de véritables coups de poignard qui l’ont saigné. Le coup de poing est parti, suivi d’un autre pour tenter d’exprimer cette blessure infligée avec si peu d’élégance de sa part.
« Et même si j’étais gay, Keffes ! Je vaux mil fois plus que toi et ta bande de petits cons républicains qui vivent dans une époque désormais révolue. Alors, va te faire foutre, Keffes ! Et bien profond de préférence. » Sa voix est féroce alors qu’il attrape son sac de cours pour quitter l’appartement de cette ancienne personne estimée sans un regard. Ce soir-là, il a bu. Pour la première fois en dix-neuf ans, il a laissé sa hargne se réduire à néant dans les effets de l’alcool. Première cuite, première gueule de bois, comme s’il venait de vivre son premier déboire amoureux. Ce qui s’y ressemble tant l’affection portée, cette amitié a fait partie intégrale de son identité. Il s’est juré de ne plus jamais laisser quelqu’un pénétrer son âme comme il avait pu le faire avec cet homme. Jamais.
Assis dans un bar, Tobias joue avec le contenu de son verre de Whisky, alcool préféré d’Ethan. Peu habitué à cette boisson, il s’enivre de son odeur qui lui rappelle les rares soirées qu’il a pu passer avec son grand frère, avant qu’un accident sur le terrain en Irak ne l’emporte loin d’eux. Parler de la guerre menée en Afghanistan au sein de l’émission qu’il coanime avec un républicain qu’il est parvenu à apprécier, Jaxhuem, Tobias ne peut rester insensible à tout ce qu’ils se sont dit. Ils n’ont clairement pas été à l’aise avec ce sujet proposé par l’opinion publique. Il soupire, fatigué par ces pensées qui bouleversent son être. Il boit une gorgée de son whisky avant de reporter son attention sur l’écran de télévision. Son regard se pose sur la personnalité qui s’exprime. Une figure qui fut par le passé coutumière, mais qui lui a laissé un gout âpre au fond de la gorge. Un ancien ami qui a continué sa route au point de devenu une personnalité importante comme lui. Ils appartiennent à deux camps différents, avec des conceptions bien différentes. Il le fixe avec intensité. Il se demande s’il est toujours l’enfoiré qui l’a insulté sur une accusation faussée. Enfin, peut-être pas totalement. Tobias s’est découvert une attirance pour les hommes que cinq années plus tard. Une sexualité qu’il ne s’interdit pas de consumer, bien que les propos de son ancien meilleur ami résonnent encore dans son esprit. Il sent une menotte féminine se poser sur son épaule.
« Autumn ! Bonsoir. Cela n’a pas été trop dur de trouver le bar ? » Il questionne avec bienveillance, dans un sourire doux. Depuis le décès d’Ethan, il veille sur sa famille, en digne frère. Il a soutenu sa femme pour la sauver d’une dépression qui aurait été inévitable. Désormais, elle est cette femme qu’on espère voir épouser afin de la prendre comme protégée. Une fille de bonne famille, cultivée et pleine de bonté. Elle serait la femme idéale, mais il n’est pas certain d’avoir envie de se lancer dans une telle aventure, bien qu’il ne croie pas en l’amour. C’est un sentiment qui le dépasse totalement.