keana ➸ the beauty of a secret

Le cœur lourd de regret et la tête vide de désirs, la jeune enfant regardait son frère anxieusement. Lui, sur qui elle avait toujours su se reposer, ne parvenait pas à décrocher un sourire. Même ses yeux, habituellement si malicieux, ne reflétait rien, si ce n'est la propre incompréhension de la brune. Longtemps, le silence resta maître dans la pièce et même la pénombre les engloutissant au fil des heures ne les fit pas revenir à la réalité. Keana n'était pas sûr de ce qu'il se passait. A huit ans, on a pas toujours le bon point de vue, ce dernier étant alterné par une innocence, une pureté, que rien ne peut égaler. Mais Keana détestait ne pas comprendre. Elle voulait toujours tout savoir et si quelque chose lui échappait, elle savait qu'elle pouvait compter sur l'être qui lui était le plus cher.

« Tu penses qu'elle va revenir ? » finit-elle par demander, décidée à exprimer les doutes silencieux qu'ils s'échangeaient depuis des heures.

Son frère haussa les épaules, enfonçant encore davantage la scène dans le silence. Il n'en savait rien, tout comme elle. Leur mère s'en était allé, un peu plus tôt dans la journée et depuis, il n'était plus sur de rien. Keana n'a jamais été très proche de sa génitrice, mais tout de même assez pour ne pas comprendre la raison de son départ. Aucun mot ne leur avait été adressé et d'une certaine façon, Keana comprenait cela comme une promesse de retour dans un futur proche. On ne pouvait pas quitter ses enfants sans un au revoir ? Des amis dont les parents étaient divorcés, Keana en avait des tonnes, trop pour tous les compter. Jamais elle n'avait pensé finir parmi eux.

« Je crois qu'elle aime plus papa. C'est ce que les gens font lorsqu'ils sont plus content, ils s'en vont », son frère se risqua à expliquer. Une dizaine d'année à son compteur, il était plus facile pour lui de comprendre l'aspect permanent de cette situation, ce qui expliquait peut-être pourquoi les mots lui manquaient.

« Mais elle nous aime nous ». La voix de Keana était assurée, comme si elle récitait une définition qu'elle avait appris dans l'un de ses manuels. Sa mère l'aimait, c'était évident. Toutes les mères aiment leurs enfants, sinon à quoi bon devenir mère ?





Un sourire amusé aux lèvres, Keana méprisait sa belle-mère du regard, sans la moindre honte. La peur qui lui rongeait l'estomac n'était plus un problème désormais ; les années l'avait endurci pour finalement lui faire comprendre que défendre ses positions n'était qu'un droit légitime que chacun devait user à bon escient. La nouvelle femme de son père ne cessait de tourner dans la chambre de l'adolescente, ses mains pressées sur ses tempes afin de ne pas perdre son sang froid. Depuis son arrivée, la chirurgienne tentait d'imposer ses propres règles mais Keana n'était pas du genre à se soumettre, du moins pas lorsque le respect manquait. Peut-être qu'elle avait donné un nouvel éclat à leur famille, Keana le niera jamais, mais cela ne lui permettait pas de la considérer comme une marionnette.

« Keana... Mon dieu, Keana. Je sais pas ce que je vais faire de toi. Je comprends pas, je te demande pas grand chose ! Tu pourrais au moins faire un effort. Je peux comprendre que tu n'ais pas envie de venir à cette soirée, je peux comprendre que tu n'ais pas de petit ami pour t'accompagner... Mais il faut que t'enfiles cette fichue robe. Maintenant ! » s'égosilla la belle-mère, ce qui ne fit qu'agrandir le sourire de la demoiselle.

Allongée sur son lit, ordinateur sur les genoux et ses écouteurs enfoncés dans ses oreilles, Keana regardait la femme s'agiter sans réagir pour autant. Bien sûr qu'elle allait l'enfiler sa fichue robe. Pas parce qu'elle en avait envie, parce qu'en toute honnêteté, Keana détestait porter robes et jupes, mais parce que son père finirait par lui faire entendre raison. Ou son frère. Ils se pliaient tout deux à chaque désir de la blonde ayant remplacé sa mère, Keana ne pouvait rien faire contre tant de gens contre elle.

« Non, j'en ai pas trop envie. Pourquoi je pourrais pas y aller comme ça ? » demanda-t-elle malicieusement, montrant d'un geste vague le short qu'elle portait, accompagné d'un débardeur. Elle savait que c'était la goutte d'eau qui ferait déborder le vase.

« Keana ! Peut-être que ton père te laisse gambader en tenue de football toute la journée, mais cette maison est aussi la mienne. On en a déjà parlé. Le football est un loisir qui ne doit pas déborder sur chaque instant de ta vie, mince alors, pense un peu à la vie qui t'attend ! Tu penses vraiment que courir après un ballon va t'aider à trouver ta voie ? Que ça va payer tes factures ? (...) ». Keana augmenta automatiquement le son de sa musique, clairement pas d'humeur à entendre sa belle-mère essayer de la raisonner. Elle savait ce qu'elle voulait faire plus tard et rien ne la ferait changer d'avis et certainement pas une femme qui n'était que guère élevé dans son estime.




Non. Non. Non. C'était juste pas possible. Elle était en train de rêver, d'halluciner, de cauchemarder même. C'était la seule explication recevable. La douleur qu'elle ressentait au niveau de son genou n'était qu'un faible rappel de celle qui venait de briser son cœur. Le souffle court, elle ne savait plus si les larmes étaient de rage ou de peur. Les médecins s’effaraient autour d'elle, la préparant afin de la transporter à l’hôpital le plus rapidement possible.

Keana n'était pas faible. Des chutes et des coups, elle en avait encaissé. Toujours, elle s'était relevé. Lors de son premier match en sélection national, une joueuse de l'équipe adverse l'avait poussé par accident ce qui lui avait valu une bonne ouverture au niveau du crâne. Mais elle s'était relevé. Dans chacun de ses matchs, ses pieds s'étaient remis en action parce que l'appel de la victoire était plus fort que le besoin de reprendre son souffle. Vraiment, rien ne pouvait l'arrêter.

Alors, pourquoi ne s'était-elle pas relevé aujourd'hui ? Après près de trois ans en équipe nationale, elle était restée au sol. Les regrets dévalaient ses joues tel de l'acide, inscrivant de façon permanente le souvenir le plus douloureux de sa vie. En pleine Coupe du Monde, elle s'était effondrée. Comme ça. A cause d'un mauvais placement, elle s'était retrouvée à bouffer l'herbe.

Elle ignorait le brouhaha qui l'entourait, tout comme les médecins l'ignorait. La seule chose dont ils se préoccupaient était son genou. Keana leur en était reconnaissant. Personne ne lui demandait son avis, on l'a jeta dans une ambulance sans qu'elle puisse se plaindre. De toute façon, elle en avait pas la force. La jeune joueuse était bien trop occupée à refouler ses pensées sombres. Celles qui hantaient ses nuits. La crainte de tout sportif. La blessure fatale. Celle qui détruirait tout sur son passage ; les accomplissements, le talent, la crédibilité. Keana tentait de son mieux de refouler l'image qui habitait son esprit.

« Ca s'annonce mal. Très mal », entendit-elle l'un des médecins chuchoter à son collègue.

Sa bouche s'ouvrit dans un sanglot désespéré, l'oxygène se bloquant avant d'atteindre ses poumons. Non. Non. Non. C'était juste pas possible.