« My characters are never heroic. They are mostly lost and trying to find the right door to open and they end up opening the wrong doors. »
« Tuesday » ma voix endormir se heurte au silence de son cœur. Mon bras enlace son corps frêle et son ventre rebondis. À cet instant j'aimerais tellement lui dire que notre enfant sera aussi glorieux et pitoyable que notre amour. J'aimerais lui promettre de lui offrir un vélo rouge avec une sonnette ridicule pour emmerder les voisins. Seulement, ce n'est pas mon fils. Un soupir m'échappe et mon regard vagabonde vers la fenêtre où filtre la lumière de la lune. Je me redresse et saisis une cigarette au goût vanille, je souris en songeant que ma mère adorait ses cigarettes. Un chaleureux souvenir m'emprisonne et je sens à nouveau son parfum et sa tendresse.
« Màmag ? J'ai encore fait un cauchemar... » prononçais en usant du gaélique puis de l'anglais ce qui fit sourire ma tendre génitrice, qui se déplaça doucement m'offrant une place dans son lit. Je n'ai jamais connu mon père et je ne me souviens plus de mes premières années de mon enfance. Cela n'a pas vraiment de réelles importances puisque j'ai toujours reçu de l'amour de la part de ma mère. J'ai grandi au sein d'un quartier pauvre mais chaleureux dans une ville campagnarde d'Écosse.
« Un jour Éliott tu deviendras quelqu'un. » murmura ma mère avant de s’assoupir en m'enlaçant tendrement.
Comme la fumée de cette cigarette ce souvenir s’évanouit et je contemple le ventre arrondi de ma compagne. Il ne faut pas être un grand mathématicien pour théoriser sur le fait qu'il était présent bien avant que je me noie dans les nuits fauves avec sa génitrice. Certains habitués des bars miteux avaient confié qu'elle était une traînée mais, en vrai pas tellement. Malgré notre relation j'ignore toujours son vrai prénom et en vérité cela m'importe peu. Un sourire m'échappe et je me souviens avec nostalgie de cette époque où nous n'étions que des enfants des rues abandonnés de tous ces préjugés et responsabilités idiotes.
« J’ai besoin de mes quatorze ans pour mieux te regarder. D’un timide coin d’œil à la mémoire des premières fois. Besoin de mes quinze ans peut être pour oser, tremblant te prendre la main d’un élan sans y perdre la tête. » ma voix rauque résonne sous les ponts d’Édimbourg accompagné des notes de mon accordéon. Les touristes émerveillés par cette vie pitoyablement écossaise s'animent et se montrent généreux. Mes doigts sont glacés semblables à du verre je ne sais pas si je pourrais passer l'hiver dans de telles conditions. Ma voix se brise dans un élan mélodieux prédisant ma chute. Dormir sous les étoiles devrait être un choix et non une contrainte. À la fin de cette journée je me sens minable. Comme un puceau essayant de mentir, j'ai laissé pousser mes rêves bien trop longtemps pour ne pas être déçu. Rêvant de la capitale écossaise comme d'une aventure ne pouvant m'offrir que le meilleur. J'étais trop naïf et encore crédule pour espérer une vie meilleure. Comme tous les soirs je termine dans un bar dont les touristes n'oseraient entrer de peur qu'on leur dérobe leur argent. Je commande un whisky en espérant pouvoir consommer et m'enfuir par la fenêtre des toilettes sans encombres. Le bar n'est animé que par une bande de jeunes gens qui ont en réalité mon âge mais, j'ai l'impression d'avoir cent ans et d'être bien vieux en cet instant.
« Eh ! C'est à toi l'accordéon petit ? » Je relève les yeux vers un homme à la barbe sauvage aux couleurs fauves. J'hoche la tête trop intimidée pour répliquer une réponse audible. Si j'avais du courage j'aurais répondu de manière cinglante mais, ce soir seul la mélancolie est au rendez-vous.
« Si avec ta musique tu parviens à me débarrasser de ses morveux je t'offrirais tes consommations. Je suis persuadé que ces sales gosses de la banlieue chic détesteront ta musique... elle est trop vieille pour leurs mœurs entravées. » J'ignore si cela était un compliment ou une douce moquerie mais, peu importe. L'alcool coule dans mes veines et ma raison s'est éteinte. Je saisis mon compagnon de mes nuits blanches et m'avance au milieu de la salle tel un artiste devant son public. J'entame les premières notes du célèbre « ave maria ». Refusant de jouer le sot mal éduqué et inculte ce soir. Leurs bavardages cessent et j'aperçois le sourire du gérant mais, soudain une larme roule sur la joue d'une spectatrice. La jeune femme qui semble la moins réservée laisse échappée un sanglot et ses compagnons porte leurs bières à leurs lèvres. Soudain des voix s’élèvent me réclamant des chansons plus moderne envolé par l'attrait du défi je m’exécute. Ignorant leur téléphone braqué sur mon récital je m'emporte et joue jusqu'à sentir mes doigts perlés de sueurs et des crampes naissantes. Puis une voix féminine s'élève accompagnée des frappements de main masculine m'accompagnant sur la chanson « Sweet Dream ». Mon âme se noie dans cet acte puissant, transpirant d'une sève artistique. Mon corps est celui d'un conquistador assoiffé de désirs inassouvis quand je cesse de jouer et que des applaudissements emportent ma victoire. Mes yeux se perdent dans ceux de mes semblables qui rient à gorge déployées et m'enlacent. Mon corps s'allonge dans ce présent mais, je me laisse envahir de cette odeur âcre mélange d'amours et d'alcool si doux et oppressant à la fois.
Cet arôme si puissant me replonge à nos débuts, nous n'étions rien à cette époque.
« Franchement, draguer une fille ce n'est pas vraiment compliquée ! C'est même très simple ! » dis-je en faisant un clin d’œil à la caméra avant de m'esclaffer en regardant mes deux meilleurs amis et partenaires. Au début ce n'était qu'un égarement, un simple court métrage réalisé après une soirée entre amis. Nous avions trop bu et les vacances d'hiver étaient longues. Puis cela est devenu un passe-temps sous forme d'une web-série abordant le quotidien de trois colocataires ce premier projet connut un certain succès et promouvait la carrière de chacun de nous. Le temps s'écoula lentement mais, chacun prit la décision de poursuivre l'aventure en solitaire tout en restant proche. J'ai adopté cette profession qu'on nomme Youtube. Animant mes vidéos en abordant les thèmes du quotidien, offrir des anecdotes burlesques sur mon quotidien, bien que cela n'était qu'un simple divertissement au début. Allongé à ses côtés je repense à la première fille que j'ai aimée, bien avant toute cette mascarade. Elle avait tout pour elle et rien pour moi. Elle était devenu mon problème. Et quand vous avez trouvé votre problème vous comprenez que votre vie n'était rien avant cette délicieuse complication. L'ennui avec les équations amoureuses c'est qu'il y a toujours un être d'exception et un merdeux. Malheureusement pour elle, c'était moi le merdeux. Dans mes songes les plus cruels je deviens le spectateur d'une vie que nous aurions pu vivre. Assise devant la fenêtre de notre petit et merdique appartement de Brooklyn, une tasse de café fumante mais, douteuse et un ventre rebondit. Cette vision idyllique se métamorphose en un douloureux cauchemar. Tout commence par une larme qui roule sur sa joue rongée par le chagrin. Sans doute la révélation tardive de son erreur, renoncer à une vie confortable. Puis comme un refrain, tout commence par une faible réflexion, un soupir puis les insultes et la dispute qui provoquera une fissure dans notre amour. Le cauchemar continue comme un vieux film issu d'une mauvaise comédie romantique, je rentre tard le soir et ses affaires sont absents tout comme elle. Mes pensées se bousculent quand une voix suave me murmure
« L'amour n'est rien quand il est neuf, propre, pure. L'amour avant l'orage n'est pas un choix, c'est une loi. Quand surgit l’événement, l'accident, l'occasion, il faut être là, debout, trouver le mot, le geste, le regard. » Mes yeux s'ouvrent brusquement et je découvre la jeune mère assise sur notre prétendu lit qui n'est qu'un matelas et dans notre taudis que nous appelons maison. Ses boucles rousses sauvages s'attardent sur son visage affamé. Enfin je remarque son livre de chevet entre ses mains et sa lecture orale, qu'elle énonce comme un doux présage.
À cet instant mon amour je comprends que tout est fini. Peut-être l'ignore-t-elle encore mais, aucune femme ne devrait rester avec un homme qui songe à se livrer dans d'autres draps. Je m'éloigne doucement et songe à mon rendez-vous d'hier.
« Tu emménages à Washington dès demain. Fais attention, à ce que tu souhaites Éliott car, à présent tu l'obtiendras ! » me lance mon agent en dévoilant ses dents blanches. Après la publication de ma première vidéo on me proposa un contrat pour me représenter et gérer mon image. Le mal du pays me conquis mais, il fut très vite dissipé par cette vie que je n'aurais jamais imaginé. Mon foyer est devenu Youtube, mon nom s'exporte en mot-clef sur internet et mon quotidien se compose de chiffre, 10 250 927 abonnés, 1 121 727 de vues pour ma dernière vidéo publiée il y a vingt heures, mes week-ends se déroulent en conventions ou meet up, mes vêtements sont offerts par des marques, mes amis pratiquent la même profession, et mon visage apparaît dans la presse sous les titres de phénomène ou objet de curiosité. Les interviews, les articles, les photographies s’enchaînent. Personne ne remarque que cela n'est qu'une fuite en avant. Échappé à l'existence d'une vie banale et ennuyeuse tout en excluant les responsabilités de son quotidien. Les psychologues affirmeront que je suis sujet au syndrome de Peter Pan mais, heureusement je n'en consulte aucun. Enfilant mon jean et mon haut portant le logo du super-héros flash je passe une main tremblante dans mes cheveux et quitte la chambre de cette fille que j'avais connue dans un passé qui me semble lointain à présent.