Comme tous les mercredi après-midi, Lancelot Valerian poussait la porte d’un petit dinner où il avait pris l’habitude se poser pour simplement contenter son besoin de relations sociales. Il ne parlait à personne si ce n’est peut-être à cette serveuse qui venait prendre à chaque fois sa commande. Son sourire heureux était agaçant mais sa voix apaisante. Tout n’était pas à jeter en elle reconnaissait-il bien volontiers sauf si on lui posait la question. L’artiste n’avouerait jamais qu’il puisse trouver quelque chose d’attirant dans une citoyenne lambda en dehors de la peinture. Il était bien trop égoïste pour apprécier une quelconque qualité chez autrui tout comme il se fichait bien qu’on puisse ne pas le supporter à cause de ses défauts. Si une personne ne l’adulait pas, c’était qu’elle était idiote, point final. Il était inutile de se prendre la tête ou de polémiquer sur la question : il était parfait. Parfaitement imparfait mais c’était justement là tout le génie de son être.
« Petite fille ! Cela fait trente seconde et dix millièmes que j’attends mon café » s’écria-t-il sur un ton péremptoire en lissant convenablement sa serviette blanche face à lui. Toujours le même rituel : il lissait sur la table la serviette blanche, de sorte qu’elle forme un losange sous son regard bleuté. Puis, il sortait de sa longue veste noire, une flasque de l’alcool aussi discrète que magnifiquement décorée. A cet instant précis, elle déposait son café devant lui en lui souriant, il l’envoyait paître en agitant sa main droite pour ne plus qu’elle le dérange. Bien sûr, elle viendrait lui offrir une petite gâterie car elle était « gentille » et il ne la remercierait pas, mangeant tout de même ce petit gâteau en le jugeant convenable même si peu digne d’intérêt. Enfin, il attraperait le journal qu’elle veillait toujours à placer sur sa table pour lire les dernières nouvelles d’un œil las et peu intéressé. Aujourd’hui, la mécanique était rayée : il était prêt mais pas la jolie serveuse. « Petite fille !! J’attends » insista-t-il se fichant bien qu’elle essayait de remonter le moral d’une petite fille qui avait fait tomber sa glace et dont la mère ne voulait pas en racheter une nouvelle car elle n’avait qu’à faire attention. « Diantre, mettez donc la glace de ce parasite sur ma note mais venez vous occuper de moi ! » s’agaça-t-il en voyant toute son après-midi bousculée par ce contretemps.
Les clients impatients, pressées, un peu énervée ou acerbes…j’en vois tous les jours. Durant les premiers jours d’embauche ici, j’avais tellement peur de ne pas contenter tout le monde à temps que je me souviens encore très bien finir par rentrée chez moi et pleurée comme une madeleine, une fois la porte claquée derrière moi. Je relâchais la pression ainsi, pour mieux revenir avec le sourire le lendemain, en me disant que quoiqu’il arrive, demain était un autre jour, et que plus je restais positive plus j’avais de chance que le monde autour de moi me soit moins agressif. Et ça marchait à 85% des cas : le sourire revenait…pour d’autre c’était vraiment la croix et la bannière. Comme cet homme-là, assis à sa table, qui commençait à s’énerver parce que ça faisait à peine 30 secondes qu’il attendait son café : Je l’avais habitué à le servir vite et gentiment, mais je commençais à me dire que c’était peut-être pas pour lui rendre service. « J’arrive, j’arrive » lui assurais-je tandis que j’e m’occupais de cette petite fille ne pleurs qui venait de faire tomber sa glace et devenait inconsolable. La mère ne voulait pas payer deux fois, chose que je comprenais, mais ce n’est pas vraiment ce qu’il m’importait à moi : je voulais simplement arrêter d’entendre ses pleurs qui me déchirait le cœur….
Le jeune homme insistait une nouvelle fois, si bien qu’il s’énervait et à bout de patience s’écriait qu’il était prêt à payer pour la deuxième glace du moment que je venais m’occuper de lui maintenant ! A genou devant la fillette, je me relevais en inspirant profondément, légèrement agacée par le jeune homme impatient. Finalement je mettais en route une deuxième glace et la tendais à la fillette avec un sourire, qu’elle me rendit malgré ses yeux rougis. Et pour rassurée la mère qui n’avait pas l’air d’apprécier la générosité violente du jeune homme, je lui déclarais « c’est offert par la maison Madame…Passez une bonne journée ». Les deux silhouettes s’éloignaient et quittait le restaurant : je pouvais alors m’occuper du café de Monsieur, que je lui apportais 2 minutes plus tard « Voilà pour votre café monsieur…et votre gâteau…et le journal du matin. » lui déclarais-je tout en posant une à une les choses devant lui. Une fois fais, je posais les mains sur la taille et lui adressais un gentil sourire, bien que dans le fond j’avais un sermon à lui faire : « pour la glace…bien que le geste est sympa de votre part, pensez à le proposer plus gentiment la prochaine fois ?! » Je penchais un peu la tête et prenait un ton hésitant, pour ne pas le brusquer, ni qu’il vienne penser que je l’agressais « La fillette est peut-etre partie avec sa glace, mais légèrement appeurée tout de même »…
Offert par la maison ?! Ne venait-il pas de lui dire qu’il lui offrait cette glace ?! Bien soit, il n’allait pas faire l’offusqué si elle préférait payer avec ses propres deniers. Lancelot n’avait que faire de la générosité des autres, il souhaitait simplement que sa routine soit respectée pour qu’il puisse se remettre à la peinture dans les meilleures conditions. « Bien. La prochaine fois, j’aimerai que les choses se passent sans que je n’ai besoin de les réclamer petite fille » lâcha-t-il en commençant par mettre deux sucres dans son café. Puis, il déboucha sa flasque afin d’obtenir son café comme il l’aimait, touillant activement ce liquide amer. La serveuse restait tout de même à ses côtés, les mains sur sa taille. Il la toisa, l’air de lui demander ce qu’elle lui voulait. « Ce parasite était en train de me donner mal à la tête et en prime, de vous retarder dans votre service. Je n’ai que rendre service à tous vos clients en faisant cesser ses geignements insupportables. Quant à sa mère, elle devrait me remercier car si elle savait éduquer sa progéniture, rien de tout ceci ne serait arrivée » répondit-il en cassant un morceau de son gâteau, secouant la main pour faire tomber quelques miettes avant de le porter à ses lèvres pour le manger. « Si elle est apeurée uniquement parce qu’un inconnu élève un peu la voix, c’est qu’elle ne connait pas la signification du mot peur… Et puis, comme vous avez menti quant à la générosité de votre hôte, il va de soi que je ne paierai pas cette glace. La prochaine fois, vous ne me ferez pas la morale ni même user d’un mensonge pour m’ôter la gloire de ma bonne action » termina-t-il en portant son café à ses lèvres pour boire une gorgée. Il n’était pas vraiment bon mais Lancelot n’allait pas lui avouer que ce n’était pas le café qui le poussait à venir tous les jours dans cet établissement à l’hygiène douteuse. « Autre chose petite fille ? » lui demanda-t-il en clignant des yeux.
Lancelot se savait irrévérencieux mais il ne supportait pas qu’on lui tienne tête ou même qu’on essaie de le rendre « malléable » au commun des mortels. Il ne comprenait pas les gens et leur logique stupide et négligente. A quoi bon chercher la compagnie d’autrui dans ces cas-là ? « Et puis cessez d’être aussi souriante, cela sonne absolument faux et cela va vous apporter que des rides »
Comme je le disais…85% des cas. Et autant dire que cette homme en face de moi faisait partie des 15% restant. « Le monde ne tourne pas toujours comme on le veut, vous savez » lui répondais en souriant. Il n’avait jamais eu à réclamer quoique ce soit jusqu’ici, et le seul jour où les choses ne démarrait pas comme d’habitude il perdait patience… Pour un café. J’osais à peine imaginer comment cela se passait pour lui au travail ! Je venais de lui dire alors qu’il avait tout de même apeurée l’enfant, mais il démarrait au quart de tour en qualifiant de parasite la fillette, de quoi me faire froncer légèrement le regard en signe de désapprobation, mais certainement me mettre en colère : ce n’était pas mon enfant non plus qu’on insultait…et puis s’il n’aime pas les enfants c’est son problème. D’ailleurs, effectivement, il doit en avoir un de problème ! « Vous parlez en adulte monsieur, c’est une enfant. Avoir peur d’un inconnu, peu chaleureux et levant le ton…c’est tout à fait logique. Je n’ai pas non plus dit que vous alliez devenir son pire cauchemar toutes les nuits à partir d’aujourd’hui » lui répondais d’un ton amusée sans jamais montré une once d’agressivité…même si il avait apparemment envie qu’on lui répondre sur son même ton. « Oh mais si vous allez la payer cette glace…pas à elle. A moi….si ce n’est pas aujourd’hui, ce sera demain, ou après-demain….je ne suis pas pressée. Moi. » Terminais-je en gardant toujours mon sourire. J’allais finalement le laisser tranquille pour boire son café, notant tout de même que c’était bien la première fois qu’il parlait autant pour un homme qui ne voulait pas faire la causette ou s’attarder, quand il m’interpella à nouveau : son « petite fille » pouvait être agaçant, je l’avoue. Mais si je commençais à me prendre la tête parce que ce type se moquait effrontément de ma taille, j’allais devoir me prendre la tête avec tous les gars que j’aurais pu croiser ou fréquentée. « Je vous écoute, Monsieur ? ». Enfin, il se plaignait de mon sourire, prétextant une fausseté et des rides…Tout en le regardant en détails tandis qu’il revissait son flacon précieux qu’il sortait à chaque fois pour son café, puis sans quitter mon sourire, je lui répondais gentiment mais avec un peu d’affront tout de même : « Ca paraîtrait sans doute faux si c’était vous qui souriez effectivement. Mais pour ma part, mes sourires sont et resteront sincères, je peux vous l’assurer. Quant à mes rides : je préfère en avoir plutôt que de paraître lisse et sans expression….ça donne au moins l’air d’avoir vécu. »
Lancelot n’aimait pas faire la conversation car bien souvent, il s’ennuyait très vite. Les gens n’étaient intéressants que s’il avait besoin de quelque chose et encore… La plupart du temps, il s’arrangeait pour prendre et ne pas demander. Pourquoi perdre son temps dans une négociation qui, au final, arriverait toujours au même résultat à savoir : une réussite pour lui. « Oh je le sais parfaitement mais si les êtres humains respectaient bien plus ce qu’ils veulent et non s’imposaient des limites idiotes basées sur des convenances inventées par d’autres êtres humains, le monde s’en porterait beaucoup mieux. Pour preuve : si la mère de ce parasite ne s’était pas empêtrée dans ces principes d’éducation idiots qui font, que l’on ne repaie pas une misérable glace alors que le gnome n’avait pas fait exprès de renverser sa glace alors, sa fille n’aurait pas rameuté le quartier en geignant comme un animal qu’on égorge » répliqua-t-il en se passant une main dans ses boucles brunes pour dégager l’espace d’un instant, son visage. « Et moi, je n’aurais pas été dérangé dans mon timing » ajouta-t-il avec un léger rictus. Au moins, la petite ne ferait pas des songes horribles sur sa personne car Lancelot avait guère de temps à perdre pour aller hanter les rêves d’un gnome sur deux pattes -oui, même son être astral avait bien d’autres choses à faire.
Par la force de l’habitude, il s’amusa avec son alliance comme pour en apprécier la présence à son doigt. « Plait-il ? Et depuis quand dois-je m’acquitter d’une dette financière que VOUS avez pris sur votre compte devant le farfadet ?! » s’écria-t-il avant de froncer les sourcils. « Petite fille, ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Vous avez menti à ce parasite certes mais vous devez assumer vos paroles et vos actes. La maison offre, alors la maison offrira. La prochaine fois, vous n’aurez qu’à ne pas me contredire »resta-t-il buté sur ses positions en secouant son visage de droite à gauche pour mieux croquer un nouveau morceau de gâteau. La serveuse allait s’éloigner quand il la rappela à l’ordre. Finalement, il n’en avait pas fini avec elle. « Asseyez-vous, je suis fatigué de devoir tourner la tête alors qu’il y a une place en face de moi, de libre. Ne me dites pas que vous avez du travail, à cette heure-ci, il n’y a personne à servir et votre travail est justement d’apporter tout ce que le client souhaite. Assis petite fille » lui dit-il en montrant le siège en face de lui, d’un geste agacé de la main. « Pour ce qui est de vos sourires, vous mentez. On ne peut être sincère avec tout le monde. Pour preuve, vous ne pouvez m’apprécier donc de ce fait, vous ne pouvez pas me sourire avec sincérité. Il y a forcément une part de vous qui a envie de m’étrangler ou étrangement de me déshabiller pour un coït rapide mais efficace »
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