Parfois il m’arrivait de repasser par la maison familiale, non pas que je souhaitais voir mes parents, ils n’y étaient jamais, mais simplement pour me ressourcer dans le calme et la quiétude. Vivre avec quatre autres colocataires n’était pas de tout repos, et le calme n’était pas toujours au rendez-vous. Si je pouvais donc trouver un coin de paix, c’était bien souvent dans la villa familiale déserte la plupart du temps. A croire que ça amusait nos parents de s’acheter des demeures sans pour autant y résider. Après tout, je n’allais pas m’en plaindre étant donné que j’avais décidé de faire un peu de musique ce qui m’était impossible à l’appartement que j’occupais en ce moment. La musique était mon petit péché mignon, mon secret à moi que j’avais rapidement enfoui lorsque j’avais compris que mes parents ne me soutiendraient pas dans cette voie. Au contraire, j’avais rapidement saisi le fait que s’ils le pouvaient ils me mettraient des bâtons dans les roues. Alors j’avais réfréné mes envies afin de me conformer à l’image qu’ils voulaient. C’était ce que j’avais toujours fait, certes plus ou moins, mais je souhaitais rester le fils parfait à leurs yeux. Je ne pouvais m’empêcher que malgré leur manque d’amour, ils nous avaient donné une seconde chance, et nous avaient offert une vie que nous n’aurions jamais eu en restant à l’orphelinat. Je m’étais rendu compte que j’étais sûrement le seul à avoir ce raisonnement, mes autres frères et sœurs manquant de reconnaissance envers nos adoptants.
J’arrivai à la maison, ouvrant la porte afin de me rendre dans l’imposante demeure. Mais rapidement je m’aperçus que je n’étais pas seul et que d’autres avaient eu la même idée que moi de revenir au nid familial. J’espérais sincèrement que ça soit Kandys, mais mon espoir fut rapidement brisé lorsque je vis une silhouette masculine se diriger vers moi : Jasper. Pourtant, ce jour-ci j’avais décidé de ne pas partir dans une énième dispute et il sembla du même avis que moi car une conversation calme et sans accroc démarra. Certes, ça n’était pas la discussion du siècle, mais une certaine communication s’était installée, chose rare entre nous deux depuis nos incidents passés. Mais nous avions appris à faire avec, je m’étais habitué à ses piques, tout comme il s’était fait à mes remarques méchantes. Donnant-donnant. Comme avant, lorsque nous nous rendions baiser après baiser, maintenant c’était méchanceté après méchanceté. Le temps abîmait bien des choses, et dans le cas présent, il avait sérieusement amoché ma relation avec Jasper. Etait-ce le temps ou simplement nous-mêmes ? Je n’avais pas l’envie de me poser cette question, d’arriver à trouver des réponses là où il n’y en avait sûrement pas. Après s’être échangés quelques banalités, Jasper sortit de la maison, me laissant finalement seul avec moi-même pour vaquer à mes occupations.
Je m’asseyais afin de griffonner sur mon cahier à la recherche de quelques paroles inspirantes pour une chanson qui ne sortirait simplement jamais de ma propre connaissance. Quand je me lançais dans la musique j’étais dans ma bulle, complètement insensible au monde extérieur et à l’activité autour de moi. J’étais tellement concentré que je n’entendis même pas ma sœur Vittoria se faufiler derrière moi. Lorsque sa voix s’éleva, je ne pus m’empêcher de sursauter légèrement. Vitto avait ce sourire sur le visage qui la caractérisait si bien, et qui parvenait à m’apaiser immédiatement. Malgré les différences qui nous séparaient tous les quatre, nous étions capables de nous rattacher à ces petits détails qui nous permettaient de nous rassurer, de nous dire que finalement nous n’étions pas tous étrangers, qu’il restait des vestiges du passé qui nous étaient familiers. Je lui lançai un sourire en réponse au sien, profitant de ce moment seul à seul avec ma sœur.
« Nostalgique de la maison familiale soeurette ? Je savais que ce n’était pas réellement la raison, mais peut-être une part d’elle ressentait encore ce petit attachement à la famille, attachement dont j’avais l’impression avait disparu chez les autres membres des Winterbottom. Rapidement, elle se mit à me parler de Jasper. A croire qu’elle était investie d’une mission à toujours chercher nos rapprochements, sans cesse à l’affut de la moindre entente entre nous deux. Sans être trop désagréable je laissais un soupir s’échapper, alors que je me levai me servir un verre de whisky dans le bar de la maison.
« J’imagine que je ne t’en propose pas. » Peut être que ma remarque était légèrement déplacée, mais après tout je n’avais jamais été très clairement au courant des problèmes d’alcool de Vitto, elle ne pouvait pas m’en vouloir. Une fois le fond de mon verre rempli, j’ajoutai deux glaçons afin de rendre la boisson meilleure puis me redirigeai vers ma sœur.
« Si par communiquer tu parles de se dire bonjour, ouais on communique. » Sur ce coup j’étais légèrement de mauvaise foi, mais je préférais ça plutôt que de dire que j’avais pu reparler à Jasper sans avoir envie de l’étrangler.. ou de l’embrasser. Pour une fois je ne m’étais pas totalement braqué et je n’avais pas envoyé bouler Vittoria, comme quoi, j’étais capable de faire des efforts quand j’en avais l’envie. D’un geste rapide, j’attrapai mon carnet encore sur la table et le rangeai rapidement dans ma mallette.
« Pourquoi tu cherches tant que ça à ce qu’on se reparle ? » Il n’y avait aucune méchanceté dans mes propos, simplement je voulais savoir pourquoi elle s’accrochait tant à cette utopie. Je pris une gorgée de mon verre en grimaçant légèrement, reportant par la suite mon attention envers ma sœur.
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